CHAPITRE TROIS

— Tu as faim ? demandai-je à Stark lorsque Neferet et les autres vampires furent partis. 

— Oui, pas mal !

— Alors, tu peux manger en vitesse avec nous ; ensuite, Damien te montrera ta chambre avant la réunion du conseil.

— Je trouve ta chienne très jolie, dit Jack en se penchant pour mieux regarder Duchesse.

— Stark, voilà Jack, le petit ami de Damien, dis-je, décidant de passer tout de suite aux présentations pour le tester.

— Salut, dit Jack avec un sourire adorable.

— Salut, répondit Stark.

— Ce n’était pas un « salut » particulièrement chaleureux, mais il ne semblait pas émettre de vibrations homophobes.

— Et voici Erin et Shaunee. Elles répondent aussi au nom de Jumelles, tu comprendras très vite pourquoi.

— Eh, salut, toi ! dirent-elles en même temps d’un ton séducteur.

— Et voici Aphrodite.

— Alors, c’est toi, la déesse de l’amour, fît Stark avec un sourire sarcastique. J’ai beaucoup entendu parler de toi.

Aphrodite, qui le regardait avec une intensité étrange, pas particulièrement charmeuse, rejeta machinalement les cheveux en arrière.

— Salut ! J’apprécie qu’on me reconnaisse. Stark rit doucement.

— Il n’y a pas beaucoup de filles qui portent un tel prénom !

— Aphrodite prit un air de dédain, et Damien s’empressa d’intervenir pour faire diversion.

— Suis-moi, Stark, je vais te montrer où trouver les plateaux et tout ça.

Il se leva et resta planté devant Duchesse, perplexe.

— Pas de souci, dit son maître. Elle restera tranquille tant que les chats ne l’embêteront pas.

Il regarda Nala, le seul chat qui se trouvait à proximité. Perchée sur mes genoux, elle fixait le chien sans ciller ; je sentais la tension dans tout son corps.

— Nala va bien se tenir, promis-je, espérant ne pas me tromper.

En fait, je n’avais aucun contrôle sur mon chat. D’ailleurs, personne n’a jamais le contrôle sur un chat.

— Très bien, alors. Duchesse, reste là ! lança Stark en s éloignant.

— Les chiens font plus de bruit que les chats, déclara Jack en examinant Duchesse comme s’il procédait à une expérience scientifique.

— C’est parce qu’ils halètent tout le temps, dit Erin.

Aphrodite se leva :

— Bon, ce n’est vraiment pas marrant ! Je m’en vais.

— Tu ne veux pas rester là pour faire les yeux doux au nouveau ? demanda Shaunee d’une voix mielleuse,

— Je vous le laisse. Zoey, passe dans ma chambre quand tu auras terminé avec ta bande de ringards. Je dois te parler de quelque chose avant la réunion.

Sur ce, elle quitta la cafétéria avec un rictus méprisant.

— Elle n’est pas aussi méchante qu’elle en a l’air, assurai-je aux Jumelles, qui me jetèrent un regard incrédule. Elle fait semblant, c’est tout.

— Oh, je t’en prie, dit Erin. Elle est exécrable !

— Donnez-lui une chance, repris-je. Elle m’a laissé voir ce qui se cachait derrière les apparences. Croyez-moi, elle peut être gentille, parfois.

Les Jumelles se turent pendant quelques secondes, puis elles se regardèrent et secouèrent la tête en levant les yeux au ciel. Je soupirai.

Shaunee me regarda et sourit. Ça n’était pas son sourire amical habituel, mais, au moins, il n’y avait plus trace de cette méfiance qu’elle avait manifestée à mon égard ces derniers jours.

— Alors, que penses-tu de Stark ? Il est canon, pas vrai ?

J’avais envie d’éclater en sanglots de joie et de hurler : « Youpi ! Vous me parlez à nouveau ! » Je me retins et jaugeai le garçon.

Elles avaient raison ; Stark était très mignon. De taille moyenne, pas grand, comme mon ex-petit ami humain, Heath, ni incroyablement beau, comme Erik, mon ex petit ami novice devenu vampire. Il était mince, mais on distinguait ses muscles sous son vieux tee-shirt. Ses cheveux, châtains, étaient décoiffés. Il avait un beau visage, avec un menton fort, un nez droit, de grands yeux marron et de jolies lèvres. Ainsi disséqué, il n était pas mal du tout. Je me rendis compte que ce qui le faisait passer de « pas mal » à « canon » étaient l’intensité de son regard et son assurance. Il émanait de lui une détermination teintée de sarcasme. On aurait dit qu’il tenait à garder ses distances.

— Je le trouve craquant, répondis-je.

— Oh ! s’écria Jack. Je viens juste de réaliser qui il est !

— Qui ça ? demanda Shaunee.

— James Stark !

— Sans blague, fît Erin en roulant des yeux. Jacky, on le sait déjà.

— Non, non, non. Vous ne comprenez pas. C’est James Stark, le meilleur archer du pays ! Vous n’avez jamais rien lu sur lui sur Internet ? Il a remporté tous les prix lors des championnats l’année dernière. Il a affronté des vampires adultes, des Fils d’Erebus, et il les a tous battus. C’est une star..., soupira-t-il d’un air rêveur.

— Bon sang ! Jacky a raison, Jumelle ! s’écria Erin.

— Je savais bien qu’il était anormalement canon ! lui fît écho Shaunee.

— Jumelle, je sens que je vais beaucoup aimer son chien, poursuivit Erin.

— On va l’adorer, enchérit Shaunee.

Quand il revint à la table avec Damien, nous le dévisageâmes tous comme des abrutis.

— Quoi ? demanda-t-il, la bouche pleine, en regardant Duchesse. Elle a fait quelque chose pendant que j étais parti ? J’espère quelle ne vous a pas léché les orteils.

— Euh, c’est que..., commença Erin.

Un coup de pied de Shaunee sous la table la fît taire.

— Non, Duchesse s’est comportée comme une vraie dame, affirma Shaunee en lui souriant.

— Tant mieux, dit Stark.

Il remua sur son siège, mal à l’aise sous le feu croisé de nos regards. Duchesse s’appuya contre sa jambe et le fixa avec adoration. Il sembla se détendre et lui caressa machinalement les oreilles.

— Je me rappelle avoir entendu que tu as battu tous les vampires au tir à l’arc ! lâcha Jack, avant de serrer les lèvres et de rougir.

Stark se contenta de hausser les épaules sans relever les yeux de son assiette.

— Oui, je suis bon.

— Alors, c’est toi, ce novice ? insista Damien, comprenant tout juste. Celui qui est incroyable au tir à l’arc ?

Stark finit par le regarder.

— Oh, c’est juste un talent que je possède depuis que j’ai été marqué.

Ses yeux se posèrent sur moi :

— En parlant de novices célèbres, je vois que les rumeurs sur tes Marques sont vraies.

— En effet, répondis-je, gênée.

J’avais horreur de ces premières rencontres ! Cela me dérangeait terriblement qu’on ne voie en moi qu’une novice extraordinaire, et non la vraie Zoey.

Alors, je compris : nous ressentions sans doute la même chose.

Je posai la première question qui me vint à l’esprit pour changer de sujet.

— Tu aimes les chevaux ?

— Les chevaux ? répéta-t-il, l’air surpris.

— Oui, apparemment, tu aimes les animaux, m’enfonçai-je en désignant sa chienne du menton.

— Oui, j’aime bien les chevaux. En fait, j’aime tous les animaux à part les chats.

— À part les chats ? souffla Jack. Stark haussa les épaules :

— Ils sont trop mesquins à mon goût. Les Jumelles soufflèrent avec mépris.

— Les chats sont des créatures indépendantes, dit Damien de sa voix de maître d’école, et je sus que j’avais réussi à faire diversion. Personne n’ignore qu’ils ont été vénérés dans de nombreuses cultures antiques, mais étais-tu au courant pour leur... ?

— Euh, désolée de vous interrompre, fis-je en me levant, Nala dans les bras, je dois passer chez Aphrodite avant le début de la réunion. On se voit là-bas, OK ?

Le « OK » qu’ils lancèrent en chœur n’était pas particulièrement chaleureux, mais, au moins, ils m’avaient répondu.

J’adressai un sourire amical à Stark.

— Ravie de t’avoir rencontré ! Si Duchesse a besoin de quoi que ce soit, fais-moi signe. Il y a un bon magasin pour animaux pas très loin.

— Merci, j’y penserai, promit-il.

Tandis que Damien reprenait sa conférence sur les qualités des chats, Stark me fit un clin d’œil en hochant la tête, preuve qu’il avait apprécié mon intervention, pourtant pas très subtile.

Je venais de sortir de la salle quand je me rendis compte que je souriais toujours comme une idiote, au lieu de m’inquiéter du fait que la dernière fois que j’avais mis les pieds dehors je m’étais fait attaquer.

Je me tenais devant la grande porte en chêne lorsqu’un groupe de Fils d’Erebus descendit l’escalier qui menait à la salle à manger des enseignants, au premier étage.

— Prêtresse, me saluèrent-ils avec respect, le poing serré contre la poitrine.

Prise d’une inspiration subite, je demandai :

— Quelqu’un pourrait-il me raccompagner au dortoir et me donner la liste des combattants qui y sont assignés ? J’aimerais connaître leurs noms.

Je serais ravi de vous les communiquer, ma dame, répondit l’un d’eux.

Je le remerciai avant de le suivre en jetant des coups d’œil vers le ciel nocturne.

Il n’y avait rien dans l’air, cependant je ne pouvais me débarrasser de l’impression désagréable que quelqu’un ou quelque chose m’observait.